Je vous conseille le film « The zone of Interest ». La Zone d’intérêt (The Zone of Interest) est un drame de guerre britannico-polono-américain écrit et réalisé par Jonathan Glazer, sorti en 2023. Il relate les journées du commandant d’Auschwitz Rudolf Höss et de son épouse Hedwig, ainsi que leur vision d’une vie de rêve avec une famille nombreuse, une maison et un grand jardin. Sauf que cette maison est adjacente au camp d’Auschwitz. On n’en voit rien mais on entend tout: les cris, les chiens, les tirs,… Et les cendres qui s’échappent de la cheminée.
Un article très intéressant de Michel Eltchaninoff paru au Philosophie Magazine « La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer, grand film ou ratage ? » (publié le 08 février 2024) – reprend les thématiques, les points forts et les points faibles de ce film.
Dans les points forts, on peut retrouver la force de la mise en scène : les images soignées et surtout les sons, quelle brillante idée, qui nous permet d’être dans le camp sans jamais rien en voir. « Le parti-pris du hors-champ (puisqu’on ne voit pas le camp) ne signifie pas que nous soyons des nazis en puissance ou que l’art de la gestion soit en lui-même d’essence nazie. Mais la force d’un bon film est de nous faire poser, a minima, la question éthique universelle de notre cécité face au mal qui se déroule tout près de nous. Si le propos ne tombe pas dans la caricature, c’est également parce qu’il comporte des zones d’étrangeté, difficilement explicables par le spectateur. Le réalisateur déjoue ainsi toutes les simplifications. De manière subtile, il capte les dérangements psychiques que provoque le métier de la mort. » On retrouve également la mise en place des personnages et de leur psychologie et de leur quotidien. « Tout d’abord, même si Jonathan Glazer, le scénariste et réalisateur, a réinterprété très librement le personnage réel de Rudolf Höss (1901-1947) et le roman de Martin Amis, il expose une face passionnante du nazisme : la façon dont il a pu être vécu dans les vies quotidiennes et professionnelles. Le couple Höss incarne le nazisme optimiste, celui de l’avenir. Il adhère complètement au projet de colonisation de l’espace vital de l’Europe orientale. Le mari administre, de manière rigoureuse, un génocide. Mais il le fait pour pouvoir accéder à son rêve : créer une immense ferme dans un territoire « libéré » des Juifs et où travailleraient les esclaves slaves. C’est pourquoi les Höss ont pris tant de soin à construire leur demeure avec piscine et à l’agrémenter d’un superbe jardin. (…) Leur intérêt, professionnel (car Höss est carriériste) et domestique (car son épouse Hedwig aime gérer une maison), s’accorde parfaitement avec la stratégie politique de peuplement de l’Est. Tout est ici dialectique : la volonté privée de s’enrichir et de s’élever s’articule avec le plan d’Hitler. Et tant pis si pour cela – c’est dialectique, ça aussi –, il faut organiser l’assassinat de masse de centaines de milliers de personnes. C’est le nazisme vu par un petit-bourgeois. »
Le seul reproche de l’auteur de l’article se situe au niveau de la personne de Höss « Sous l’emprise de cette femme et de sa passion bourgeoise pour la domesticité, Höss, lui, ne semble se soucier que d’efficacité en vue d’obtenir un avancement et d’assurer le confort de sa famille – et de ses animaux. Rien ou presque n’est dit de ses convictions. Rien ou presque n’est dit de ce que cela lui fait d’envoyer tous les jours des milliers d’innocents à la mort (alors que c’est lui qui, historiquement, a eu l’idée de recourir au Zyklon B, technique bien plus efficace que les pots d’échappement ou les mitraillages) et qu’il se fait un devoir d’assister à l’enfermement des déportés dans les chambres à gaz. Or, dans le film, Höss nous apparaît seulement comme le manager ou l’organisateur zélé d’une entreprise (d’extermination) à qui il arrive, vu la pénibilité de sa tâche, d’avoir des nausées… Il ne manquait pourtant pas d’éléments pour prendre en charge cette question, sans sortir pour autant du parti pris « domestique » choisi par Glazer. Rudolf Höss est en effet le seul dignitaire nazi à avoir assumé la responsabilité de ses actes. Avant d’être jugé et pendu par la justice polonaise en 1947, (dans ladite « zone d’intérêt » elle-même, à Auschwitz), il a reconnu sa responsabilité dans le génocide dans un texte en forme de confession, intitulé Le commandant d’Auschwitz parle (disponible aux Éditions La Découverte). Se présentant comme « un adepte fanatique du national-socialisme, convaincu que notre idéal finirait par triompher et que la prédominance de la juiverie se trouverait ainsi éliminée. (…) Primo Levi, qui a préfacé ce texte, écrivait : « L’histoire de Rudolf Höss montre bien où conduit un devoir accepté aveuglément, à savoir le Führerprinzip de l’Allemagne nazie. » Qu’est-ce qui « se jouait » derrière le mur du jardin de la zone d’intérêt ? Selon Hannah Arendt, les camps sont un véritable « laboratoire politique » où, moyennant le recours à la terreur et à l’idéologie, est mis en œuvre le projet totalitaire de transformer les hommes en êtres « superflus ». Ce projet, précise-t-elle, nous fait basculer dans un « domaine qu’aucune motivation utilitaire ou égoïste ne peut limiter, indifférent qu’il est à l’intérêt personnel ». Loin de pouvoir être rabattu sur la quête universellement partagée de l’intérêt et du confort familial, voilà l’enjeu spécifique du nazisme… à côté duquel Jonathan Glazer nous fait malheureusement passer. »
Ce film est très intéressant à voir et à analyser avec des élèves. Il pourrait se voir avec des élèves de rhéto (qui voient cette période en histoire) mais, selon moi, à deux conditions :
- qu’ils aient lu en amont un livre idéalement, sinon leur donner des extraits, relatant ce qui se passait dans les camps (pour pouvoir comprendre les bruits, les cris, les chiens et les tirs) : « Si c’est un homme » de Primo Levy, « La Nuit » d’Elie Wiesel, « Je suis le dernier juif : Treblinka » de Chil Rajchmal sont des récits courts mais intenses où ces sons, ces bruits, sont développés.
- qu’on aborde avec eux la question de la déresponsabilisation, l’expérience de Milgram (vous pouvez aussi montrer le documentaire « Le Jeu de la Mort » qui adapte l’expérience de Milgram à un jeu télévisé et développe toute l’analyse des participants en les comparant avec les résultats obtenus lors de l’expérience de Milgram) ou aborder la question de la « banalité du mal » de Hannah Arendt. Pour mieux comprendre cet homme, cette femme et leurs proches, pour que les élèves comprennent qu’il ne s’agit pas de fous ou de sadiques mais de personnes qui se retrouvent dans un système auquel ils adhèrent notamment parce qu’ils vont trouver des avantages.
Cette thématique peut convenir pour des séquences telles que « Affronter le mal ». Il existe des dossiers pédagogiques et il est possible
d’organiser des séances scolaires aux Grignoux notamment.
Bon visionnage !
Sophie Muselle